top of page

SAINT CHIEN (ou : DARK TOM & JERRY)

Quelques réflexions au sujet de Good Boy de Ben Leonberg


Arthur-Louis Cingualte


ree

Jamais très loin, dans un coin du champ de vision, la langue qui pend et la truffe haute, invariablement ravi, disposé à tout (l’agréable comme le désagréable) mais dans l’attente d’une chose bien particulière. Non pas une simple caresse, mais, surtout, le sésame qui l’accompagne : « Bon Chien ! » Et, alors, c’est le monde entier qui chavire.

 

On donne du « Bon Chien » peu importe la race et la situation, on le dit sincèrement, sans aucune trace de condescendance ; on le dit, allons jusque-là, religieusement – Bon pour ne pas dire Saint. Il n’est, de fait, pas un moment de la vie d’un chien qui ne contribue pas à justifier que cet adjectif le précède en toutes circonstances. Animé par une foi inébranlable, l’abandon comme critère moral, sur ses gardes un instant et capable de s’oublier l’autre, fidèle par-delà la mort et sensible aux forces qui dominent le monde, le chien est la créature la plus nimbée qui soit. 

 

Il était bien temps qu’un film ne se contente d’en faire un héros, mais se mette à sa hauteur. Indy, le chien de Good Boy, admirablement dirigé par son propriétaire, porte le film sur son dos. De tous les plans, l’animal ne se contente pas d’enchanter l’action – comme n’importe quel chien vole la vedette aux plus adorables infantes et princes de la cour d’Espagne chez Vélasquez – mais de la dramatiser comme peu d’acteurs savent le faire. Puisqu’il ne joue pas la comédie mais joue toute sa vie (et le tournage du film n’échappe à cette règle) on ne saurait imaginer de performance plus poignante et juste. Aussi candide, généreux et intuitif que son héros, on passe sans peine aux films ses faiblesses. On les oublie vite même tout à fait. D’une certaine façon elles ne souffrent même aucune critique : elles ne sont que l’expression de l’étrangeté du regard canin.

 

Au travers de ces yeux imparfaits (on estime que les chiens voient deux fois moins bien que nous), la principale présence humaine du film (Todd, le maitre mal en point d’Indy) nous apparaît avec une sorte de chaleureuse (d’abord, l’affaire se gâte à mesure) étrangeté ; une sorte de centre mobile en forme de Graal, presque une abstraction qui se résumerait à une voix, des mains, des jambes, un dos et un visage jamais réellement discernable. Il y a du Tom & Jerry dans Good Boy, mais du Dark Tom & Jerry.

 

En effet le danger rôde. Indy – et c’est le principal argument du film – voit des formes se détacher des ténèbres, des mains et des silhouettes d’esprits maléfiques se tendre et menacer son maitre. Ou plutôt, puisqu’elles sont de lui seul visibles et que son extralucidité est exclusivement olfactive, il ne les voit pas, il les sent. C’est probablement cette même immensité invisible que le flair converti en architecture cauchemardesque que fait peser Goya sur son célèbre Chien.   

 

Comment se représenter ce qu’est le flair ? Le flair, à ce niveau de technicité, comme le montre Good Boy, c’est l’enfer. C’est un monde invisible qui se révèle par fragments, un tout autre plan de la réalité qui bouscule aussi bien la perception de l‘espace que celle du temps. Une odeur pour un chien ce n’est seulement la manifestation de ce qui est là, mais aussi de ce qui y a été, comme ce qui y sera. Le concept (à une époque où le terme est dévalué par des hordes de productions plus gadget que concept) de Good Boy ne saurait être mieux indiqué : du flair du chien surgit le fantastique.

 

D’où viennent ces esprits qui s’en prennent à Todd ? Malédiction familiale ? toxicomanie ? maladie ? le film multiplie les pistes sans en résoudre réellement aucune. Cela, tout compte fait, est sans importance. Un chien, évidemment, ne comprendrait pas. Mais en revanche il le sentirait ; il sentirait la mort et les ténèbres progresser. Et c’est là le véritable sujet du film : il n’y a de mauvais esprits que là où son amour inconditionnel et sa fidélité chevaleresque sont intimidés.

 

On ne peut pas imaginer la teneur du combat angélique contre le mal que mènent les chiens, le film d’horreur que cela représente, le courage insensé que cela implique.

 

Avec Good Boy, toutefois, et ce n’est pas une mince affaire, on peut commencer à le toucher un peu, le caresser même. Et c’est déjà beaucoup.

 


Illustrations : photogrammes extraits du film

Good Boy de Ben Leonberg, 2025 (captures d’écran A.-L. C.)


ree

Commentaires


Les commentaires sur ce post ne sont plus acceptés. Contactez le propriétaire pour plus d'informations.
bottom of page