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S’EN FOUT DE L’UNIVERS CONNU | JOURNAL FRAGMENTAIRE & DÉRISOIRE | #10

Fabien Thévenot


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22|08|2025 ● Aux amis qui s'étonnent de me trouver si maigre au sortir des beaux jours, ma petite recette minceur de l'été : un bon chagrin d'amour.

 

23|08|2025 ● « Ce qu'on met de soi dans l'autre est infiniment plus vaste que ce qu'on croit lui confier. Quelques fois c'est sa propre vie, d'autres fois c'est son âme, sa vocation, sa sauvagerie, sa misère, une dette ancestrale, c'est toujours exorbitant, une valeur passée en douce, clandestinement, que l'on s'échange dès le premier regard. Pacte secret qui échappe au destinataire comme à celui qui l'envoie, chacun se chargeant de cacher le fardeau très loin de soi, à l'abri. » [En cas d'amour : Psychopathologie de la vie amoureuse ● Anne Dufourmantelle, Rivages, 2011]

Je prends aujourd'hui le pari qu'il est plus facile de se remettre de certaines ruptures que de certaines lectures.

 

24|08|2025 ● Island Records a mis en ligne le mois dernier 2h40 de chutes de studio, de démos, de prises alternatives tirés des sessions d'enregistrement du premier album de Nick Drake, Five Leaves Left. Une occasion de plus pour constater que l'impression de pure clarté qui se dégage d'une œuvre est souvent moins le fruit d'un geste spontané que d'un long travail de maturation pour éliminer le trop-plein, d'ajouts d'orchestrations qui allégent paradoxalement l'ensemble, de choix de ralentir tel titre, d'accélérer tel autre.

56 ans que nous observions la splendeur de cette toile, voici les crayonnés en dessous.

 

30|08|2025 ● Céline & Julie me mènent en bateau. Enième tentative d'aller au bout d'un Rivette ; énième renoncement. Je ne comprends décidément rien à ce «cinéma de rushs». Revenez me voir quand quelqu'un aura enfin monté le film.

 

09|10|2025 ● Murielle Joudet dans le podcast Bookmakers. Riche idée que de considérer le ou la critique de cinéma comme un écrivain à part entière. Elle-même, d'ailleurs, fait la différence entre ce qu'elle écrit pour la presse & ce qu'elle écrit «pour elle» — c'est à dire ses livres.

Au troisième épisode elle évoque des sujets que je désespère de voir traités dans un essai : le regard que le cinéma français porte sur la communauté maghrébine & ce que les potentialités de l'image numérique [étalonnage, lissage, rajeunissement/«beauty work»] font au visage des acteur.ices — vieillissant.e.s ou pas.

Dans sa forme actuelle, loin devant tous les autres, Bookmakers reste un modèle d'orfèvrerie radiophonique.

 

21|10|25 ● Qui s'est fatigué en premier, le spectacle ou le spectateur ? Ni déploration ni nostalgie, mais force est de constater que le cinéma contemporain me tombe de jour en jour des yeux, quel que soit le bout par lequel je l'attrape. Moi-même je ne suis plus très sûr de ce que je lui demande. Être branché sur l'époque ? Nous dire quelque chose de l'effondrement en cours ? Lui trouver une forme nouvelle, adéquate ?

Une chose est sûre, je ne l'ai pas trouvé dans Sirat & sa petite machine à recycler des images du cinéma d'auteur mondialisé du XXe siècle plaquée sur une petite mécanique punitive chère au «cinéma transgressif de festival». Ni chez Östlund, Lánthimos ou Aster, sarcastiques aux petits pieds. Je ne le trouve plus dans les films dont c'est la grande ambition mais dans les œuvres modestes qui documentent l'irréalité mélancolique de notre condition d'êtres assoiffés de vie dans un monde épuisé.

100.000.000.000.000 [Cent mille milliards] de Virgil Vernier l'a raconté à merveille de manière microcosmique — peut-être la seule échelle possible. Mais c'était il y a déjà plus d'un an. Depuis, encéphalogramme plat.

 

 

 

Illustration : Stanislaw Ignacy Witkiewicz,

Autoportrait, Zakopane, vers 1913,

épreuve gélatino-argentique (Musée national d’art moderne,

Centre Pompidou, Paris) (détail)


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Le blog de Fabien Thévenot est à retrouver sur


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