S'EN FOUT DE L'UNIVERS CONNU | JOURNAL FRAGMENTAIRE & DÉRISOIRE | #07
- lefeusacreeditions
- 25 nov. 2015
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 30 août
Fabien Thévenot

VENDREDI 20 NOVEMBRE 2015 | INDÉCENCE GÉNÉRALISÉE
Bilan d’une [très] longue semaine à éprouver les attentats de Paris via les réseaux sociaux : impression de revivre en mode caricatural les événements de janvier dernier. Même hystérie, même valse des commentaires à chaud, mêmes déferlements des débats d'experts improvisés en sociologie ou en géo-politique. A la différence notable que cette fois, chacun connait au moins une personne — ou connait une personne qui connait une personne — qui a été blessée, tuée, ou qui en est ressortie miraculée. Etant donné que c’est un public de ‘concerts rock’ et des clients de bistrots qui ont été assassinés, chacun se croit désormais personnellement visé. C’est le Rôle de la Semaine que Facebook vous attribue. A vous de mettre en scène votre indignation, votre dégoût, votre solidarité, votre amour soudain pour l’humanité afin de contrebalancer l’horreur, à vous de partager des articles, des réactions, des hoax. A vous la pornographie émotionnelle.
#JeSuisParis : Le jeu dont vous êtes le héros.
Tout le monde a l’impression de discuter des événements mais ne fait jamais que les re-médiatiser via sa petite personne — comment Moi je vis les événements. Nous dupliquons de nous sur les réseaux sociaux un artefact si narcissique que plus personne ne semble prendre conscience de son exhibitionnisme émotif. Indécence et nunucherie se disputent sur mon mur. Dans tout ce cirque, les amis pour qui j’ai le plus d’estime se taisent. Les plus lucides ont clos leur compte.
DIMANCHE 22 NOVEMBRE 2015 | ILS
Tombé ce matin sur un extrait du livre posthume et non-achevé de Bernard Maris (Et si on aimait la France) qui me met un peu en rogne : un portrait du bobo — terme devenu tellement générique (qu’on retrouve jusque dans la bouche des prêtres intégristes) au fil des années qu’il permet aujourd’hui de jeter l’opprobre sur à peu près n’importe qui vivant en ville, mangeant bio ou se déplaçant à vélo:
«Les bobos sont joyeux. Ils ont pu se constituer un patrimoine en virant les pauvres et en transformant d'anciens ateliers en lofts. Ça s'appelle la gentrification. Les bobos sont de haute qualification, volontiers voyageurs, volontiers “couples mixtes”, écolos ; ils mangent bio et aiment les animaux ; ils participent de l'internationale bobo, qui habite le centre-ville partout dans le monde (sauf à Marseille, encore populaire, mais pas pour longtemps). Ils roulent autant que faire se peut à vélo. Sinon ils prennent de zélés TGV pour traverser rapidement les précédentes zones périurbaines sur lesquelles ils ferment pudiquement les yeux. Ils ne sont pas racistes. Ils font de gros efforts pour que leur nounou mauricienne obtienne la nationalité française. Ils votent évidemment à gauche, la preuve avec Paris. Ils sont tolérants et communautaristes, même s'ils ne répugnent pas au double digicode, comme l'explique Alain Finkielkraut : “Les bobos typiques célèbrent le métissage et vivent dans des forteresses.” Ils sont la mondialisation heureuse. L'immigré est mondialisé par le bas, le bobo par le haut.»
Au delà de l’approximation du portrait, de la citation d’Alain Finkielkraut, du côté ‘Philippe Muray sans le talent et sans humour’ du texte, des clichés enfilés un par un comme des perles, c’est l’utilisation répétée de ce ‘ils’ qui me gêne le plus. Cette façon de faire homogénéité d’un groupe qui n’en est pas un, qui est composé d’exceptions, de il(s) dans les ils. Et qui me fait comprendre à quel point ma question n’est plus celle de la politique (administrer les masses) mais définitivement celle de la littérature (la recherche de la singularité en chacun).
Bref, tout le contraire des gens de ‘Recours au poème’ qui annoncent hier (un peu pompeusement, quand même) l’arrêt de leur activité : « Les attentats de vendredi 13 novembre modifient profondément notre action. Les temps sont maintenant autres. Des temps où l'énergie que l'on a doit, de notre point de vue, être consacrée à des actes politiques, et à un engagement poétique, plus pressants que la simple édition de poésie. Cette dernière nous semble, dans ce contexte précis, devenue peu signifiante relativement à ce que nous pensons devoir faire et être, en ce temps de violence. Nous ne croyons pas aux discours du type ‘on continue, artistiquement, car c'est là que se joue la résistance à cette violence’ (même si nous respectons cette façon de voir) ».
LUNDI 23 NOVEMBRE 2015 | U-BOOT
« Sans la guerre, j’aurais vécu ignorant du seul fait incontestable : le fabuleux écart entre les valeurs reconnues par l’humanité et le monde dans lequel elles tentent de se greffer »
Je termine aujoud’hui U-Boot, le roman d’aventure de Robert Alexis [qui se plait depuis 2006 à décliner ses « récits d’initiation à un au-delà de l’existence ordinaire » à travers tous les genres littéraires possibles : roman d’aventure, d’époque, science-fiction]. Au fil de mon exploration bibliographique, je me rends compte d’un truc assez troublant : c’est une vraie lutte des classes qui se joue dans ma réception de son œuvre. Mes romans favoris de Robert Alexis sont ceux écrits du point de vue de l’homme ordinaire (les militaires désœuvrés de La Robe, de U-Boot) — ceux qui mettent en scène l’aristocratie (L’Homme qui s’aimait, Les Contes d’Orsanne), par contre, ont une certaine tendance à m’ennuyer.
Comment expliquer cette rupture ? Peut-être parce que l’association aristo/expérimentation des limites a quelque chose de trop évident, puise dans une source déjà très abondante et pré-calibrée de récits, de Sade à Pauline Réage. Alors que la rencontre entre — par exemple — un militaire avec le trouble de l’identité sexuelle me semble ouvrir des pistes qui, à défaut d’être nouvelles, me semblent ô combien plus engageantes.








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