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S’EN FOUT DE L’UNIVERS CONNU | JOURNAL FRAGMENTAIRE & DÉRISOIRE | #02

Dernière mise à jour : 30 août

Fabien Thévenot


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    LUNDI 23 JUIN 2014 | FAILLIR MOURIR D'ENNUI

 

Je tente de lire / relire les derniers romans français qu'on m'a récemment offert : “Un dieu, un animal” de Jérôme Ferrari, et “Faillir être flingué” de Céline Minard. L'exercice est intéressant car ce sont souvent des livres que je n'aurais jamais acheté par moi-même et qui me permettent de prendre le pouls de la production contemporaine.

Très vite s'efface le côté ludique de l'exercice. J'ai beau les prendre et les reprendre, ces livres me tombent littéralement des mains. Le Ferrari, tout d'abord. C'est écrit à la seconde personne dans une langue exigeante et poétique. Le problème c'est que chaque phrase semble hurler je-suis-écrit-dans-une-langue-exigeante-et-poétique. Ce n'est pas que le texte soit opaque, il est juste totalement masqué par les intentions stylistiques et l'égo de son auteur. En soi, la totale antithèse du devenir-imperceptible de l'écrivain selon Deleuze. « Oh non, un écrivain ne peut pas souhaiter d'être « connu », reconnu. L'imperceptible, caractère commun de la plus grande vitesse et de la plus grande lenteur. Perdre le visage, franchir ou percer le mur, le limer très patiemment, écrire n'a pas d'autre fin » (“Dialogues avec Claire Parnet”, Flammarion, Paris, 1977).

 

Le Minard — multiprimé à droite à gauche — est dénué du moindre caractère. C'est un western qui ne parvient jamais à produire la moindre image, aussi faible soit-elle (l'ouest américain, le répertoire est pour le moins abondant) avec des personnages qui peinent à s'incarner dans le récit. Ils sont bien nommés, “Josh”, “Jeff”, “Brad”, “la petite”, mais ne sont jamais vraiment caractérisés, ils ont de vagues fonctions, mais aucune personnalité un tant soit peu épaisse ou palpable. Bref, très vite l'impression que Cécile Minard joue aux cowboys et aux indiens dans son petit pré carré littéraire. Du mal à comprendre ce que la critique et les libraires ont trouvé à ce livre insipide.

Finalement, je referme le livre en retournant à mon à priori premier : lire un western écrit par un(e) Français(e) me semble aussi pertinent que d'écouter un disque de funk joué par des blancs.

 

    MARDI 24 JUIN 2014 | DANS MON ÂME & MON CORPS

 

Je continue la rédaction de ce journal en espérant que personne ne le prenne pour une vilaine entreprise narcissique. Je mène simplement une expérience sur moi-même. Une expérience très commune, j'imagine, pour quiconque pratique l'écriture (j'allais dire l’écriture introspective, mais en existe-t-il une autre ?) depuis longtemps, mais à laquelle je n'avais jamais pris le temps de me plier.

L'écriture me met dans une disposition qui me permet d'être plus proche de mes idées, de mes sentiments, de mon intériorité (je précise que je ne publie ici que les fragments les moins intimes de ce journal, et que je ne parle pas que de ce journal). L'écriture est un acte de révélation à soi-même. Quelle idée triviale, déjà mille fois vécue et cent fois racontée, mais qui ne décroit jamais puisqu'elle se renouvelle chaque fois qu'un individu en fait l'expérience. Un peu comme la foi.

 

Alors que cette pensée m'occupe depuis quelques jours, je tombe ce matin à Emmaüs sur un livre du grand Raymond Abellio dont j'ignorais l'existence. “Dans une âme et un corps”, son journal de l'année 1971. L'ouvrage m'avale dès les premières lignes. Ce livre semble s’être mis sur mon chemin pour me délivrer ce message :

« … un journal (peut) être tout autre chose qu'un registre de sensations irreliées et fortuites, toujours subjectives, mais au contraire la saisie à l'état naissant d'une pensée devenue enfin spontanément cohérente, dans sa prétention immédiate à l'universel (…) Est-il en mon pouvoir de m'emparer du désordre apparent de la vie quotidienne, tant physique que psychique, de la maîtrise par la seule clarté de l'esprit et d'en faire apparaître l'ordre caché ? Et, de ce nouvel ordre, puis-je à chaque fois rendre compte clairement, c'est à dire par le mot, par l'écriture, afin que l'acte, éclairé par la parole, soit encore mieux maîtrisé ? »

 

    MERCREDI 25 JUIN 2014 | RENDEZ-NOUS MALRAUX, BORDEL

 

J'apprends aujourd'hui qu'Aurélie Filippetti prévoit de créer en 2015 une « Fête de la littérature jeunesse », afin de stimuler un secteur « en pleine expansion, en plein dynamisme, toujours plus varié(e), plus riche, plus créati(f) »,« des plus innovants et des plus dynamiques de l'édition contemporaine française ».

Bref, tout va bien pour la littérature jeunesse, soutenons la littérature jeunesse ! A l'heure où d'excellentes maisons d'édition ferment leurs portes (13e Note le mois dernier), à l'heure où le secteur de la poésie est royalement ignoré par absolument la quasi totalité de la chaine du livre.

 

Mais ce qui me choque dans son discours, c'est la manière dont A.F. agite d'entrée de jeu dans son discours le spectre de la xénophobie pour justifier par je ne sais quel tour de magie ! le bien-fondé « du rôle des bibliothèques dans la cité ».

C'est Jean-Claude Michéa qui disait, je crois, que le racisme est aujourd'hui la menace parfaite que la classe politique et médiatique brandit partout afin de ne pas avoir à nommer le seul vrai problème qui concerne absolument tout le monde, par delà les différences de couleur de peau : la grande casse sociale.

Le racisme, on en parle tellement à tort et à travers que j'ai désormais l'impression que le mot et ce qu'il désigne ont fini par se dissocier, que l'un ne recouvre plus l'autre. Qu'il y a d'un côté le racisme dans toute son immanence, organique, vivant, obscène, et le racisme-chose, cette idée qu'on se fait du racisme, qu'on instrumentalise à tout va, qu'on tord dans tous les sens et qui sert toujours les intérêts de celui qui l'emploie. C'est peut-être la manière la plus dégueulasse de le banaliser.

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