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S’EN FOUT DE L’UNIVERS CONNU #03 | JOURNAL FRAGMENTAIRE & DÉRISOIRE

Dernière mise à jour : 30 août

Fabien Thévenot


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    Mercredi 2 juillet 2014 | Capitale de la République Mondiale du Néant

 

Gabriel Garcia Marquez à l'honneur d’Une vie, une œuvre. Vers le milieu du programme, les invités évoquent ses années Parisiennes, période de vaches maigres puisque venu en France afin de devenir correspondant Argentin pour Le Monde avant de se faire mystérieusement remplacer.

Gustavo Guerrero (enseignant en histoire culturelle et littéraire de l'Amérique latine & responsable du domaine hispanophone chez Gallimard) évoque alors une certaine “Madame Lacroix” qui logea gratuitement Marquez durant une année entière (avant d'aider de la même manière Mario Vargas Llosa quelques temps plus tard). Une archive est diffusée : « Il faut laisser leur chance aux gens. A moi on m'a toujours laissé ma chance », dit cette brave madame Lacroix.

 

Gustavo Guerrero parle ensuite de ces hommes et femmes venus « en Europe comme un voyage initiatique qu'ont pratiqué beaucoup d'Américains du nord et du sud (…) à la recherche d'une certaine modernité (…) à la recherche de la Capitale de la République Mondiale de l'Être »

Cette solidarité, conclut-il, c'était « l'esprit de la France d'après-guerre (…) On a beaucoup de récits de latino-américains qui en parlent, notamment Julio Cortazar qui a beaucoup raconté cette générosité des gens qui ont rendu plus humains les rapports entre la ville et les gens ».

 

Tout cela sonne comme le lointain écho d'un monde définitivement enterré. “Donner sa chance”, “Solidarité”, “don de soi”, autant de mots et d'expressions que les classes populaires partageaient et qui sont devenus l'apanage d'une poignée de gens de gauche ; une sagesse commune devenue la conscience d'aucuns.

Et puis que dire de ce “Paris, Capitale de la République Mondiale de l'Être” ? Quelle image sublime qu'on peut chercher jusqu'à en user ses semelles dans ce Paris d'aujourd'hui, muséifié, festivisé, Forum-des-Hallisé — raide-mort — à l'exception de deux/trois âmes et d'une poignée d'endroits.

 

    Vendredi 4 juillet 2014 | Le ciel des bleus

 

20h. J'écoute l'Ode à la joie & savoure le non-bruit des klaxons.

 

    Samedi 5 juillet 2014 | Norlande

 

En ce moment, je lis tout en vrac, par petits bouts, dans n'importe quel sens, sans aucune logique. Le journal de Witold Gombrowicz, Mars de Fritz Zorn, le journal d'Abellio. Le seul livre que je suis parvenu à lire d'une traite c'est le Norlande de Jérôme Leroy, et c'est un livre pour ado. Dois-je m'inquiéter de mes facultés de concentration ?

En ouvrant ce livre, j'ai cherché à vérifier si Leroy a réussi à faire avec le “roman jeunesse” ce qu'il a réalisé avec le roman noir en écrivant Le Bloc. La réponse est oui. On reconnait un grand écrivain à la capacité qu'il a à s'adapter à son lectorat, à répondre aux attentes du genre et du public ciblé tout en imposant ses propres exigences stylistiques et thématiques. Le Bloc est un pur roman noir sur l'extrême-droite française, mais raconté du point de vue de l'adversaire. Pour comprendre ces personnages, il faut littéralement se glisser dans leur peau. L'expérience est troublante car extrêmement bien documentée et génératrice d'une grande empathie à l'égard de l’Ordure. Il s'agit donc de démonter les mécanismes de l'idéologie xénophobe en l'intégrant en soi, la dénoncer avec intelligence, sans avoir pour autant en passer par le roman dit engagé. Et il fallait bien un romancier communiste amoureux de la bonne littérature française — celle de droite — pour parvenir à un tel résultat.

 

Norlande parle d'un sujet sensiblement le même, mais en décalant l'action dans un autre pays, et l'abordant d'un autre point de vue. Le livre s'inspire du massacre d'Utoya par Anders Behring Breivik. Leroy parle des problèmes posés aux social-démocraties d'Europe du Nord, du retour de la pulsion fasciste, d'engagement politique, de violence, de la perte de l'innocence. On voit bien à quel niveau d’exigence Jérôme Leroy place la littérature — qu'elle soit ou pas jeunesse —, à quel point l'auteur ne considère jamais comme optionnelles la curiosité et l'intelligence de son lecteur.

Concernant Norlande, pas question de se placer du point de vue du Mal, en revanche. Leroy savait au moment de rédiger ce livre ce qu'il peut y avoir d'insoluble et d'ouvertement obscène dans ce geste, et laissera à Laurent Obertone le loisir de foncer droit dans le mur avec cette démarche (Utoya, Ring, 2013). Le récit de Jérôme Leroy, lui, travaille plutôt le portrait d'une adolescente rescapée du massacre rongée dans sa chair et sa conscience par la culpabilité du survivant. Ce livre est son journal de convalescence, un roman épistolaire à sens unique, écrit à sa correspondante française, qui n'est personne d'autre que le personnage de La Grande Môme, son précédent roman pour ados qui parlait, lui, d'idéalisme et de lutte armée… Autant dire qu'on lui est reconnaissant de ne pas baisser les yeux quand notre sale époque le cherche du regard.

 

    Lundi 7 juillet 2014 | This is 40

 

J'ai 40 ans. Voilà, c'est fait.

Pour ma midlife crisis, j'achèterais bien une Porsche avant de quitter ma vieille épouse pour une belle et jeune fille, le souci, c'est que je déteste conduire et que je n'ai pas eu besoin de tout abandonner pour vivre avec une jeune et belle femme.

Pour ma crise de la quarantaine, je m'offre donc une nouvelle collection de livres co-dirigée avec Alain Jugnon. J'y reviendrais.


 

    Mardi 8 juillet 2014 | L'élite est entrée sans prévenir

 

La culture générale.

Quand j'étais gamin, j'en manquais terriblement.

Quand j'étais gamin, on me répétait tout le temps «si t'en as pas, t'es mal barré dans la vie». J'en ai longtemps fait qu'à ma tête, avec ces recommandations, jusqu'au jour où je me suis rendu compte qu'avoir de la culture G., c'était pas un truc optionnel, c'était juste le minimum syndical pour être un homme à peu près sortable.

Mais ça, c'était avant. J'ai un peu de mal à situer le moment où la “culture générale” a été rebaptisé “culture d'élite” par toute une nouvelle génération. C'est cette chronique du dernier EP de Lucio Bukowski qui me rapporte à ces pensées. Si j'en crois l'auteur de ses lignes, son rap est “élitiste” car l'auteur y parle pêle-mêle de Rembrandt, de William Saroyan, d'Héraclite, de Pink Floyd, du Christ ou encore de Prométhée, que son style est “pédant”, et que comprendre ses textes “nécessite une culture encyclopédique”.

 

« Les curés libéraux ont révisé les psaumes,

Ils ont même appris aux pauvres à mépriser les pauvres »

disait L.B. dans Les faiseurs d'illusions sortent des lapins morts de leurs chapeaux. Poussons le vice jusqu'à dire qu'ils ont également appris aux classes populaires à mépriser la connaissance, à leur faire accepter l'idée qu'elles n'étaient bonnes qu'à avaler la culture de masse.

Élitiste ? Nous parlons bien d'un artiste issu du peuple, utilisant une musique populaire dans le but de partager son amour pour un certain nombre de figures issues du réservoir du grand savoir commun. On est vraiment dans l’inversion des valeurs la plus complète. Car quand bien même ces références seraient issues d'une prétendue culture bourgeoise, au nom de quoi il serait interdit d'y toucher ? Souvenons-nous de la manière dont les punks à la fin des années 70 se réapproprièrent la figure de Beethoven via leur fascination pour Orange Mécanique. Et ce n'est qu'un exemple parmi tant d'autres.

La “culture élitiste "est une pure invention, seuls existent différents modes d'approche et de réappropriation des pratiques et des créations humaines. Ces auteurs, ces livres, ces films, ces peintures ; ces références sont à nous, bordel, citons-les, transformons-les, faisons-les parler, réapproprions-les nous, intégrons-les à nos panthéons personnels, faites-leur prendre l'air, faisons notre travail de transmission en tant qu'artistes, éditeurs, journalistes ou simples amateurs, et ne laissons surtout pas l'ennemi coloniser notre langue et nous faire douter de nos pouvoirs d'alchimistes.

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