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LES GENS DU BLÂME | DERVICHES LITTÉRATEURS | INTERVIEW

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Ce n’est pas tous les quatre matins qu’une nouvelle maison d’édition voit le jour sur Lyon. Surtout avec une note d’intentions* pareille et des projets en cours aussi excitants. Les Gens du Blâme — c’est leur nom.

Mais bon sang, qui peut bien se cacher derrière ce patronyme ? Et puis c’est quoi d’abord, un gens du blâme ? Parce que je sais par avance que vous vous posez toutes ces questions, j’ai pris les devants et je les ai adressé à Philippe Villard, Mickaël Jimenez Mathéossian et Ludovic Villard — que certains d’entre vous connaissent probablement sous le nom de Lucio Bukowski.

Ne dites surtout pas merci.

 

    * « Cherche comment dire

    Fuis l'ombre du feu »

 

    Collectif éditorial, secte littéraire et imaginaire, Les Gens du Blâme publient des textes profondément choisis et toujours assumés. Maison ouverte aux quatre vents, au centre de laquelle tout trouve source, ses membres tentent de marcher sur la même voie que celle où l'alchimiste opère par le feu.

 

    Démarche littéraire et humaine où l'errance peut mener au miraj, le collectif ne cherche ni disciples, ni apôtres. Ode silencieuse aux choses de l'âme, la quête des Gens du Blâme n'est pas un projet, c'est l'échelle mystérieuse que le dépouillement permet de grimper avec la légèreté et l'abandon du derviche en extase. C'est donc en blâmant les codes, les apparences et les formes, mais en se mettant au service du cœur et du désir, que se joue la question éditoriale.

 

    Au son du soupir de l'Homme, s'ouvrent les alphabets des gens du Livre. Puissance créatrice qui sauve l'humain de l'impuissance de se dire, c'est à partir de ce souffle, de ce « A », âme du monde, que s'élabore, par les mots, la démonstration d'une partie de l'expérience humaine. De la lettre à la composition littéraire, de l'atome aux galaxies, tout participe à la danse cosmique, à la révélation d'une réalité qui se donne à voir derrière le voile que le temps et l'espace nous imposent.

 

    « Celui que je cherche avec des larmes dans les yeux,

    Que je cherche en pleurant comme un ruisseau

    Est venu à l'aube, aujourd'hui, m'appeler au sama’

    Sans m'autoriser à me laver les mains pour la prière. »

    Rubâi'yât – Djalâl Od Dîn Rûmî

 

Fabien | Pour commencer, j'aimerais que vous nous expliquiez le choix de ce nom, Les Gens du Blâme, que je relie un peu machinalement à la tradition soufi, mais sans en savoir vraiment beaucoup plus.

 

Phil | Le terme « Gens du blâme » est effectivement à relier au soufisme, mais en fait, il s’agit d’un groupe un peu différent. Comme pour ces derniers, il y a une démarche, une quête, qui vise à dépasser l’Ego, perçu comme la source de tous péchés. Comme ces derniers aussi, la démarche spirituelle des GdB semblait questionner quelque chose de plus large que les codes, les préceptes et les règles établies ; au-delà de l’orthodoxie pourrait-on dire.

 

L’homme du blâme « al-malāmatī » est en lutte avec ce qui est trop « charnel » en lui, ce qui est trop lourd et il se blâme de ne pouvoir être assez pur pour approcher Dieu. Cependant, il se blâme tellement, qu’il en oublie sa propre « sainteté ». C’est une démarche initiatique qui incite à être humble, mais qui cherche également à faire une lecture du monde au-delà de ses formes.

 

MJM | Pour faire simple, les gens du blâme ou Malāmatī peuvent être considérés comme des derviches ayant atteint le plus haut degré d’initiation. L’écrivain journaliste Michel Random en parle ainsi : « Qu’est-ce qu’un Malamati ? C’est un homme qui fuit toute publicité, qui ne recherche aucun disciple et ne tolère aucune louange. Ses vertus sont grandes, mais secrètes et cachées. Pour les cacher et les rendre plus secrètes encore, il fait ouvertement ce qui est défendu. Il s’attire ainsi non seulement des « blâmes », mais se trouve souvent persécuté, emprisonné, voire mis à mort ». Dans l’un de ses ouvrages, le Cheikh  Khaled Bentounès explique : « On leur jette la pierre, on les repousse. Ils agissent ainsi pour que les autres ne s’enferment pas dans leur suffisance, qu’ils se remettent en question ». Se remettre en question. Aller plus loin. La littérature sert finalement un peu à ça, non ? Nous, gens du blâme, tenterons de relever le défi. À notre très modeste niveau bien sûr.

 

Et pour revenir à ta question du choix de ce nom, je trouve que c’est un blaze qui claque sévère. Tout simplement !

 

Quels sont vos parcours respectifs qui vous amènent aujourd'hui à travailler ainsi ensemble ?

 

Ludo | Nous sommes frères et amis. Nous sommes motivés à créer, à faire vivre notre art. Un photographe/journaliste, un auteur, un musicien/auteur. Avec chacun des parcours différents mais une vision commune. Pour ma part je pense que cette idée du DIY provient de mon expérience dans la musique, du constat clair qu’il est non seulement possible mais surtout préférable de développer et de défendre soi-même son art. 

 

MJM | Pour ma part, c’est Philippe qui m’a montré la voie et fait découvrir pas mal de livres - concernant par exemple le soufisme, mais aussi le génocide arménien ou certains textes sacrés - et d’auteurs : Nick Tosches, Hubert Selby Jr, etc… On peut dire que c’est lui qui m’a initié à la lecture. J’ai connu Ludo plus tard, à travers ses textes, sans savoir qu’il s’agissait du frère de Philippe ! Je pense que l’on partage une même « passion » pour le livre, l’objet imprimé, les mots justes. C’est un peu cet amour des lettres qui nous relient tous les trois je pense. Je pense également qu’à l’instar des soufis et des gens du blâme en particulier, nous sommes tous les trois en quête de Vérité. Les livres nous aident dans cette vaine recherche il me semble.

 

Quand on me demande pourquoi j'ai monté ma maison d'édition, je réponds souvent que c'est pour combler un manque : que personne ne se battait pour rééditer les textes que j'ai publié et que j'étais en attente de certains livres qui, dans un sens, n'arrivaient pas. Avez-vous aussi cette impression ? Quelle serait votre réponse à cette question ?

 

Ludo | Faire les choses soi-même. Je pense que c’est ce que je répondrais. En ce sens que pour conserver non seulement une liberté de création absolue et donc une intégrité artistique/littéraire (vis-à-vis du lecteur mais vis-à-vis de nous-mêmes également), il me parait nécessaire aujourd’hui de devenir son propre éditeur. Cela entraine toutes sortes de contraintes mais ces dernières ne sont rien face au contentement et à l’accomplissement de l’œuvre créée intégralement de A à Z. Et la conséquence est d’une éblouissante simplicité : aucun compromis, aucune barrière ; nous écrivons absolument ce que nous voulons.

 

Phil | Oui, pour moi, cette démarche a pour but de miser sur une forme d’énergie collective particulière où chacun est en fait très tributaire des autres, mais avec la liberté de tout dire et de tout remettre en question si cela est nécessaire. Je prends conscience aussi de la difficulté que peut rencontrer un auteur isolé dans la phase d’édition de son livre. Quand je vois le travail accompli sur ce premier projet par mes partenaires (les officiels et les invisibles), je ne peux que rester humble. Mais cette réalisation commune, collective est aussi une immense fierté. Sans ce collectif de gens entièrement libres, rien n’aurait été possible.

 

Et puis même si cela est difficile, quel bonheur et quelle sensation pour les amoureux des livres que nous sommes tous, de pouvoir choisir un texte et de le mener jusqu’à la publication. Presque un rêve de gosse ! Quelle responsabilité aussi !

 

MJM | Combler un manque, c’est exactement ça. Personnellement, j’ai souhaité la création de cette association/maison d’édition/collectif éditorial – appelons ça comme on veut - pour sortir de manière officielle le livre de Philippe. Que ce texte, qui a été pensé, ruminé, écrit et corrigé maintes et maintes fois, se matérialise en un vrai bouquin. Que cette parole « sorte » une bonne fois pour toutes. Que d’autres puissent lire ce texte et le partager. Et que cela marque le début de quelque chose – pour nous, mais aussi pour le lecteur. Ce vœu est en train de se réaliser. Les portes s’ouvrent.

 

Aussi, je rejoins Philippe et Ludo sur cette notion de DIY, de liberté et d’intégrité. Pourquoi laisser les autres gérer à notre place ? Comment injecter de sa personnalité dans une telle démarche si on ne met pas soi même les mains dans le cambouis ? On n’est jamais mieux servi que par soi-même. Cela ne nous empêche pas de déléguer certaines tâches que nous ne maitrisons pas à d’autres personnes compétentes et qui nous ont vraiment été d’une aide précieuse. En résumé, si nous ne sommes pas contents du résultat, c’est nous et nous seuls que nous devons blâmer.

 

Votre première publication est ‘Le Carnaval des Ogres’, le premier roman de Philippe qui, j'ai cru le comprendre, a déjà une longue histoire. C'était un choix évident de commencer par publier un roman ? De publier CE roman ? En quoi à votre avis ce livre est à l'image de vos intentions ?

 

Ludo | Selon moi ce roman est tout à fait à l’image de ce que nous souhaitons publier, c’est-à-dire sans retenue, fort, gênant, écrit avec le bide et difficilement publiable autre part. Les Gens du Blâme n’ont pas de ligne éditoriale… sinon celle d’une certaine marginalité littéraire. On en revient à cette liberté qu’entraine l’acte de s’auto-publier : pas de barrières.

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MJM | Nous n’avons pas vraiment choisi me semble t-il. Le livre était là, sous nos yeux. Il ne demandait qu’à être imprimé, relié, diffusé et lu. Je ne me suis jamais vraiment posé la question du pourquoi ce livre en particulier. Il s’agissait d’une évidence. Le Carnaval des ogres représente vraiment le genre de textes qui me touche profondément et que j’aimerais lire plus souvent. Un texte basé sur une histoire vraie complètement dingue, avec de multiples références historiques, ce récit d’une quête de justice légitime et qui me parle d’autant plus que je suis d’origine arménienne et suis bercé de ces références depuis longtemps. Je ne comprends d’ailleurs toujours pas que personne n’ait eu l’idée de faire un film sur l’Opération Némésis…

 

Quels autres tours avez-vous dans votre sac pour les mois à venir ?

 

Ludo | La seconde publication des éditions Les Gens du Blâme sera pour mars ou avril 2017. Il s’agit d’un livre de poèmes signé par moi-même.

 

Phil | Nous ne publierons que ce qui nous touchera profondément, nous percutera ! Personnellement, je te rejoins quand tu parles de textes « que personne ne se battait pour rééditer…». J’ai très envie de rééditer des textes anciens, pourquoi pas des textes en résonance avec ces Gens du blâme et ces soufis qui nous ont offert une poésie dépassant souvent l’entendement par son étendue, sa beauté, sa puissance. Et puisque Ludo parlait de marginalité littéraire… Il y a des textes issus de la tradition mystique et symbolique chrétienne qui m’intéressent beaucoup. Et quelques essais aussi… évidemment.

 

MJM | Je gamberge sur une série de bouquins photo. Mais pour l’instant, tout est encore flou.

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