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JE NE SUIS QU’UN PRINCE DU NÉANT

Fabien Thévenot


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L'adolescence est ce drôle de moment où l'on peut passer en quelques mois de la messe du dimanche au punk-rock sans que rien ne vous semble spécialement étrange. C’est aussi ce moment où l’on prend conscience qu'un autre monde palpite derrière les apparences.

 

An de disgrâce 1988.

‘Sauvagerie’ d’OTH n'est pas le premier disque de punk que j'ai entendu ado, mais c'est celui qui m'a procuré le plus grand choc esthétique. Pourtant, il ne m'a pas immédiatement séduit. Il a d’abord fait souffler en moi le chaud et le froid. Attraction & répulsion. J'écoute alors pas mal de groupes de ‘rock alternatif’, mais la plupart arborent cet humour lourdingue qui les rend à l’époque déjà relativement inoffensifs, et aujourd’hui quasiment tous inécoutables.

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“Sauvagerie” n'est pas un disque sympa. C'était un disque froid. Il exprime une dureté à laquelle je n'ai jamais vraiment été confronté. Mais elle m’attire car je sent bien qu’elle saura me parler mieux que quiconque du broyage scolaire mâtiné d’ennui qui est alors mon quotidien — et qui me semble n’être rien d’autre que la version soft de ce qui m’attend dans le monde adulte.

 

Un gamin qui n'écoute aujourd’hui quasiment plus que de la musique dématérialisée imagine mal ce que c'était à l'époque de découvrir un album via sa pochette de 33 tours.

‘Sauvagerie’, c'était cinq gueules antipathiques, des flammes, et une promesse de déchaînement de violence. Je me revois encore médusé, à la médiathèque du coin, à me demander si oui on non je devais ramener chez moi un objet aussi menaçant.

 

‘Sauvagerie’ c’est un coup de fouet bien sec. Juste 9 titres. Du punk dur, assez glacial. Une impression imputable en partie à la réverb’ sur la voix — si peu usuelle dans ce genre de musique —, le son vif et tranché des guitares, la batterie rigide, austère, qui se pose là en farouche ennemie du groove.

 

    « J’ai tiré quinze ans dans les cités dortoirs / Même en été il y fait si froid / On dirait que le béton vient de la Sibérie » (Mort de rire).

 

Un son qui fait corps avec la sécheresse et la simplicité des mots.

 

Dureté & froideur aussi dans l’attitude. Indifférente, presque maître de soi. Étrange en regard de ces chansons où l’on glorifie la perte de contrôle, le dérapage, où l’on plaide la folie pour mieux se libérer de l’ennui.

 

    « Qu’est ce qu’il y a de mieux à faire / Quand on est un loup solitaire / Que de se faire en imaginaire / Son petit branle bas de combat / On a tous besoin d'être libre / Moi je le suis depuis que je sais / Que ma planète est dans ma tête / Et qu'c'est la même / Qu'il y'a dans la vôtre » (Prince du néant)

 

Moi qui n'ai rien vécu, le puceau, le merdeux qui n'a encore jamais voyagé sans ses vieux, qui n'a même jamais foutu les pieds à Paris — même accompagné —, j'écoute ces mecs désillusionnés de tout : de la société, des hommes, du fils de l’homme et de l'amour.

 

L'humour, dans ce disque, je ne le saisis pas encore bien. Il est fortement empreint de cynisme et je maîtrise encore mal ces codes. J'écoute les textes de ces gars qui disent n'avoir « que la haine en partage » (Quand on a que la haine), qui racontent une fantasmatique tournée en enfer (Été 86).

Ces neuf chansons font l’effet d’une brèche qui s’ouvre sur le réel. C’est l’heure de l’épiphanie, la vraie. Après ça, finie l’imposture des adultes, des éducateurs de la république, des sermonneurs aux croix de bois. Je découvre des mots et des sons pour énoncer / organiser / structurer l’hostilité du monde dont je ne connais pour le moment pourtant qu’un maigre échantillon. J’aurais tout aussi bien pu tomber sur un livre d’aphorismes de Cioran ou les poèmes de Bukowski qui m’auraient à leur façon donné accès à cette autre réalité. Mais non, je suis tombé sur ce disque agressif, ricaneur, souverain et qui me dit d’une manière très intime que deux mondes se présentent désormais à moi.

Celui des cow-boys ou celui des indiens.

Celui des illusions consolatrices ou celui du réalisme — même pas magique.

Celui du zoo ou celui des grands espaces.

Et que ce choix se réalise dans cette solitude tout juste révélée.

Et qu’à lui seul, il détermine toute une vie.

 

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OTH ‘Sauvagerie’, Art Trafic / New Rose, 1988

Pochette | François Bergeron

Photo | Freddy Gïoïa

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