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C'EST QUOI LA PETITE EDITION ?

Dernière mise à jour : 19 juil.

Fabien Thévenot


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Allocution lue en public il y a bientôt un an — le jeudi 07 juillet 2016 à la Villa Gillet lors de la première Rencontre interprofessionnelle du livre organisée par l'Arald. Avant d’être publiée dans le numéro 27 de la revue Hippocampe — merci à Gwilherm Pertuis.

 

    C’est quoi exactement la « petite édition » ?

    m’a-t-on demandé il y a quelques semaines.

 

    Je n’avais jusque-là jamais tellement réfléchi à la question.

    Jusqu’ici, je pensais que la réponse coulait de source.

    Mais à force d’en parler avec des gens autour de moi — des amis, des auteurs, des libraires, des éditeurs — qui imaginent notre structure parfois bien plus grande qu’elle ne l’est dans les faits, qui confondent la « petite édition » avec l’auto-édition ou la microédition, je me dis que la question est peut-être moins idiote qu’il n’y parait.

 

    Mais avant de répondre à la question, je commencerais par vous dire ce que, à mes yeux, la « petite édition » n’est pas :

        —  La « petite édition », ce ne sont pas des petits éditeurs qui copient les gros avec moins de talent et moins d’argent.

        —  La « petite édition », ce ne sont pas les « peintres du dimanche » de l’édition.

        —  La « petite édition », ce sont encore moins des gens qui ramassent les miettes des « grands éditeurs », qui font les poubelles de Gallimard, Fayard ou Actes Sud.

 

    Les petits éditeurs ne vivent dans l’ombre de personne.

    Ils publient cette littérature qu’ils cherchent activement, produisent, déterrent et parfois inventent eux-mêmes sur le terrain.

 

    Oh, bien sûr, je ne prétends pas parler au nom de tous les « petits éditeurs ». Je parle en mon nom. Fabien Thévenot. Le Feu Sacré éditions. Je parle de ma vision des choses. Je parle de ce que je défends depuis cinq ans.

 

    En l’occurrence : une littérature affranchie des classements.

    Non pas une littérature volontairement inclassable, obscure et complaisante, mais une littérature qui se refuse de choisir entre la poésie et l’essai. Une littérature qui pense que la poésie n’est pas un genre en tant que tel, plutôt une potentialité de la littérature.

 

    Pour reprendre les mots d’Aurélien Lemant, un auteur maison qui le dit mieux que moi [c’est tiré d’un essai que nous publions en novembre prochain], nous défendons une « volonté crossover de voir sauter les murs pour rapprocher les domaines de pensées, fusionner les formes et à l’inverse détruire les connivences, accoster en t-shirt les humanités, la politique, l’ésotérisme et les sciences dures comme autant d’éléments de la pop culture injectables dans un roman […], et cingler vers le consumérisme de masse avec la gravité d’un ange et le sérieux d’une épée. » *

 

    C’est comme ça que nous avons décidé d’exister en tant que petit éditeur.

    Non pour nous démarquer de manière calculée, mais parce que c’est la seule position dans laquelle nous parvenons chaque soir à trouver le sommeil.

 

    J’ai parlé d’essais et de poésie.

    La fiction, c’est encore autre chose.

    Le roman n’est pas notre objet.

    Le roman, c’est notre sujet.

 

    Et c’est notre relation à lui qui nous a amené à créer la collection dont je suis venu vous parler aujourd’hui : une collection nommée LES FEUX FOLLETS.

 

    Nos intentions — elles sont rappelées en 2ème page de chaque livre :

 

    « Nous avons demandé à l'écrivain & au poète :

    Quel livre-monde vous fait courir ?

    Quel roman terminal vous fait écrire ?

    Quel ouvrage du passé vous semble écrit pour le présent ?

    Choisissez bien ; vous n'aurez qu'une cartouche.

 

    Les Feux Follets est une collection de courts essais critiques & élogieux, poétiques & fougueux, de ces romans souterrains qui «font monde», percent, sapent et minent les représentations, incantent au réel, s'imposent comme une condition sine qua non à la Vie. »

 

    L’idée de cette collection est née d’une carence éditoriale. Liée pourtant à une évidence. Les écrivains sont souvent de grands lecteurs. Ils sont hantés par des livres. Des livres qui agissent en eux. Qui les meuvent. Qui les font écrire. Pourtant, à notre connaissance, aucune collection n’avait jamais été dédiée à ces livres-fantômes qui travaillent dans l’ombre, ces spectres de l’écriture qui modèlent l’imaginaire en sous-sol, ces Ghost In The Shell de l’artisanat littéraire.

 

    Seule obligation pour l’auteur : produire un texte intime [mais non-égotique], personnel [mais pas impudique], singulier [mais pas nébuleux] sur la base de cette adoration, variable selon les personnalités, l’inspiration et les inclinaisons de chacun.

 

    La forme est libre.

    Et les auteurs s’en sont jusque là donné à cœur joie :

    Un philosophe nietzschéen de gauche qui écrit sur Céline, un poète objectiviste qui produit un « traité de savoir-vivre » en Bartleby, un écrivain & historien de l’art qui écrit quatre lettres d’amour à la Ada de Nabokov, un poète qui met sa propre vie en fiction pour mieux révéler celle de Tristan Corbière, un dramaturge & acteur qui arpente les catacombes de Villa Vortex, ce roman-monde tellement sous-estimé de Maurice Dantec, un romancier espagnol qui traverse l’œuvre de Don DeLillo avec la MagLite de Jean Baudrillard et de George Romero.

 

    La forme est libre, parce que nous ennuient les livres qui s’en tiennent à leur planning, qui ne déraillent pas, qui se comportent comme des objets serviles vis-à-vis de leurs lecteurs.

 

    La forme est libre parce que nous recherchons l’accident, l’heureux hasard, et espérons que de ces cartes blanches abondamment distribuées naîtra une forme littéraire, peut-être pas révolutionnaire, mais en tout cas un tant soit peu nouvelle, actuelle, inspirante, qui ramène un peu de subjectivité et d’intime dans la critique littéraire, qui considère le livre et la littérature non pas comme une lettre morte, mais comme une forme de vie, possédant de redoutables propriétés virales, capables de faire œuvre de transmission.

 

    De notre for intérieur de lecteur,

    à votre for intérieur de lecteur.

 

    Merci pour votre attention.

    Fabien Thévenot, Le Feu Sacré éditions

 

* tiré du Feu Follet #05 «Pourquoi je lis Villa Vortex de Maurice G. Dantec, par Aurélien Lemant» (Le Feu Sacré éditions, novembre 2016)

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