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BOOKHOUSE GIRL #53 / Anna d’Annunzio, actrice et terminatrix

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Anna d’Annunzio devrait être l’actrice préférée de tout le monde. Bien entendu, ce serait insupportable. Mais seulement pour elle. Repérée une fois pour toutes, quoique demeurant quatre fois inatrappable, dans le sublimement important L’Etrange couleur des larmes de ton corps de Cattet & Forzani, d’Annunzio tresse un pont nu entre la totale star parfumée d’aurores boréales et la femme de coeur avec laquelle il faut / on peut converser - tu en ressors agrandi pour l’hiver et la saison d’après, minimum. Anna d’Annunzio est aujourd’hui la dialoguiste-poétesse d’AZMANDEH, une bande noire et sang dessinée par Alain Poncelet, entre stryge et berbalang, louve rougie et morsure nyctalope perchée sur toutes les épaules, dont le premier volume a été révélé au BIFFF ( Brussels International Fantastic Film Festival). Une autofiction nécropolitaine entachée de superbe, de fesse et de sucettes à l’hémoglobine, dont la suite est attendue avec fièvre et tics faciaux. Ad’A, dite Daz, est notre Bookhouse Girl de la semaine, enfin.

 

| Que trouve-t-on comme nouvelles acquisitions dans ta bibliothèque ?

Il n’y a aujourd’hui que des vieilleries dans la pile verticale et croulante des en-cours et à-lire. Des acquis de bacs à livres, des reçus et des chourés aux copains. Loup-Garous et Vampires de Villeneuve, Féministe et Libertaire de David-Néel (…peut-on être à la foi loup, garou, vampire, féministe et libertaire ?! Absolument. C’est même fortement recommandé.), Miscellanées de Lorrain, Ni Marx ni Jésus de Revel, Récits de la Kolyma de Chalamov, Un paria des îles de Conrad puis d’autres encore dont je ne vois d’ici pas la tranche, écroulés il y a peu certainement, ramassés et replacés à l’envers.

 

| Quels livres marquants as-tu découverts à l'adolescence et que tu possèdes toujours ?

J’ai perdu beaucoup de livres. La vie. Parmi les survivants, quantité de London. J’ai étoilé mon obscure puberté de ses neiges puis ai été mordue de ses veines rouges et hommes, ouvriers, hobos, marins, ivrognes, boxeurs… C’est aussi une période pendant laquelle je mangeais pas mal de théâtre, lisais et relisais maintes fois les véhémentes, impétueuses et folles tirades des tragédiennes de Racine, de l’Antigone de Sophocle, d’Octave et Perdican chez Musset, Don Juan et Elvire chez Molière, Macbeth et Richard III de Shakespeare. J’aimais ensuite les beautés légères et camarades de L’Usage du monde de Bouvier, l’acidité de Burroughs et Ginsberg, les merveilles fantasques de Gustave Le Rouge, la sensualité, les spleens et ondes lugubres de Baudelaire et Poe. Demeurent et persistent enfin sous la poussière tous les renâclés au lycée que j’ai finalement et aimablement dévoré, Zola, Maupassant, Hugo, Camus, Malraux.

 

| Sans égard pour sa qualité, lequel de tes livres possède la plus grande valeur sentimentale, et pourquoi ?

Ça fait longtemps que je ne place plus de sentiment dans le matériel mais j’aime particulièrement un minuscule livre vert illustré. Le Radis géant. Un vieux monsieur plante un radis et chante pour l’encourager à pousser. Pendant la nuit le truc devient énorme. Fou heureux il tente en vain de le déraciner. Sa vieille dame le rejoint pour l’aider en lui tirant sur le bénard, et la fillette, et le gros chien noir, et le chat… toute une queue leu leu joyeuse, rougeaude et essoufflée, jusqu’à ce que le miaulard sollicite la main-forte de la souris. Tu imagines le dénouement. Enfin tous morfent ensemble et rigolards la gigantesque brassicacée. Cette petite histoire a exceptionnellement résisté à diverses et fréquentes maltraitances enfantines, une quinzaine de déménagements et une vilaine flambée volontaire. Elle traine toujours à vue ; je l’attrape parfois, l’arque et anime comme un petit film, celui où une cerise couronne allègrement toute la fortune d’un gâteau.

 

| Lequel de tes livres prêterais-tu à quelqu'un qui te plaît ?

Le prêt invite à la réitération voire la récidive ou du moins à son prétexte et ce n’est parfois pas nécessaire. Ainsi j’offre. Et adapte le geste à ma visée ou d’éventuelles complicités, mais c’est très souvent un livre de Jack London ou George Eekhoud. Je t’en ai offert un d’ailleurs non !!?

 

| Oui, en 2016, Une mauvaise rencontre ! Que trouve-t-on comme livres honteux dans tes rayonnages ?

Plus rien. Je peux tout assumer. J’ai récemment largué 99 francs de Beigbeder au Secours Populaire et abandonné un livre de quatre-cents recettes de verrines – mais enfin pourquoi ces absurdes présents aux premières de théâtre ?! - et quelques mièvres et fastidieux Bobin envoyés par un amant qui, forcément, n’a pas fait long feu, dans une cabine téléphonique reconvertie en boîte à lire…C’est un peu salopard et venimeux de refiler tout ça non ? J’aurais dû, au risque de l’encrasser, allumer le poêle avec.

 

| Quels livres as-tu hérité de tes proches ?

De mes descendants contemporains, si proche j’en fus, j’ai plutôt chipé qu’hérité. J’ai d’abord enfreint l’interdit de la plus inaccessible étagère au-dessus des toilettes en montant sur - et en cassant - l’abattant du chiottard. Reiser, Choron, Cabu, Wolinski, Cavanna, Brétécher et Serpieri y rayonnaient, et je me souviens très bien du soir (et de l’épaisse moquette bleu marine chez des particuliers lointains à Bruxelles en 1988 exactement) où, condamnée à quitter la table et à aller dormir en haut pour avoir dit « La Belgique ça pue la frite », j’ai découvert Manara et légitimé le principe de la masturbation. J’ai plus tard récupéré les latineries sud-américaines des brûlants et véraces Osvaldo Bayer, Eduardo Galeano et les récits de quelques auteurs et poètes comme Coloane, Garcia Marquez, Cortázar, Neruda, Allende et, c’est certain, j’en suis empreinte.

 

| Le livre que tu as le plus lu et relu ?

Mises à part les bandes dessinées qui se torchent à la selle (et encore, c’est un devoir que j’expédie généralement dans le plus grand dénuement - je me souviens d’ailleurs avoir lu Lire aux cabinets de Miller dans les bureaux de production TF1), je ne relis que très très rarement les livres qui m’ont touchée (ou alors peut-être sans m’en rendre compte ! J’ai une si vague mémoire des noms propres et des histoires !). Ni ceux bien entendu qui m’ont déplu. Mais parcours parfois les pages cornées comme estampillées de mes livres, en cherche le passage ou la phrase qui m’a irradiée, séduite ou interrogée. D’ailleurs la plupart du temps je n’identifie plus ce qui m’a tant intéressée, poursuis plus avant ma lecture et plie de nouveaux coins.

 

| Le livre qui suscite en toi des envies symboliques d'autodafé ?

Je voudrais littéralement en terroriser et incinérer plus d’un, préjugé. Mais je ne lis pas les autobiographies. Ni les manuels religieux. Ainsi par tracas d’impartialité, je m’abstiens. C’est dommage car, tu t’en doutes, j’aime beaucoup les incendies.

 

| On te propose de vivre éternellement dans un roman de ton choix, oui, mais lequel ?

Non. Éternellement de mon choix résonne en oxymore. C’est un coup à rester coincée dans un roman d’Anne Rice ; mais tiens, puisqu’il trainait alentour ces derniers jours et que je veux bien jouer, pourquoi ne pas finir déifiée dans Albina et les hommes-chiens de Jodorowsky ou en souris dans le Radis géant.

 

| Quel est l'incunable que tu rêves de posséder, ton Saint Graal bibliophilique ?

Bon alors déjà il m’a fallu chercher la définition d’incunable…Tu vois l’genre. Ensuite je ne quête pas vraiment les saints ni ne rêve particulièrement de posséder ; mais il me plairait de tomber hasardeusement sur certains secrets et genèses, d’exhumer quelques grimoires parcheminés, lettres, notes et mémoires intimes de solitaires, nomades, pionniers, femmes ou sorcières. Je les remettrais en terre ensuite parce que c’est assurément le seul organisme à pouvoir les honorer et préserver.

 

| Au bout d'une vie de lecture, et s'il n'en restait qu'un ?

Plus d’un au bout allons ! J’aimerais que s’attardent et s’éternisent des pléiades de livres frères, achevés, détériorés, pliés, décousus et tachés, ou de longs manuscrits de mains aimées zonant aux bouts des miennes, jamais relus ou très vaguement parcourus. Non pour clore une vie, mais pour la poursuivre.

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