BOOKHOUSE BOYS #24 / Bruno Lalonde & Michel Belisle
- lefeusacreeditions
- 18 févr. 2014
- 6 min de lecture


La première fois que j'ai entendu parler de Bruno Lalonde, c'est lorsque Lionel Tran m'a dit “Il y a un Québecois hallucinant qui a adoré mon livre et qui en a fait une chronique vidéo”.
J'ai tout de suite aimé l’exubérance contrôlée du personnage, les rituels qu'on retrouve dans chacune de ses interventions (« Bonjour, bienvenu dans ma bibliothèque ») et le foisonnement des sujets que Bruno aborde toujours avec un enthousiasme placide.
De fil en aiguille, j'ai découvert sa librairie (Le Livre Voyageur), ses lubies, mais aussi ses amis et la revue littéraire qu'il édite avec l'un d'entre eux, sir Michel Belisle. Le numéro 8 de La Compagnie à Numéro vient d'ailleurs de sortir, on y retrouve des noms qu'on aime bien par ici (Lionel Tran en tête), des auteurs Feu Sacré (Aurélien Lemant), des auteurs cultes (Henriette Valium), Michel Belisle lui-même, et une foule d'écrivains québécois à découvrir.
Bref, l'occasion idéale de soumettre Michel & Bruno au Questionnaire des Bookhouse Boys.
| On trouve quoi comme nouvelles acquisitions dans votre bibliothèque ?
Bruno : « Les Trois écologies » de Félix Guattari, « À l’épreuve de la faim » et « Le Dernier stade de la soif » de Frederick Exley et « Rapide-Danseur » de Louise Desjardins.
Michel : (aux considérations bien étranges) « Les Demeures philosophales » de Fulcanelli.
| Quel livre marquant avez-vous découvert à l’adolescence et que vous possédez toujours ?
Bruno : Toute ma bibliothèque de mon adolescence a été dispersée. Je n’ai conservé aucun livre. J’ai tout vendu. Mais le livre marquant est celui qui m’a encouragé à abandonner l’école à l’âge de 15 ans : « Journal d'une fille de Harlem » de Julius Horwitz. Je n’ai plus l’exemplaire d’origine mais je l’ai racheté par la suite.
Michel : Triste période l’adolescence. Que des lectures obligatoires à l’école. N’en ai rien retenu, sinon, horreur, que lire c’est triste (enfin c’est cela quand on ne nous propose que des choses sans autre préparation que « lisez, résumez en 2 pages, et examen dans deux semaines »).
| Sans égard pour sa qualité, lequel de vos livres possède la plus grande valeur sentimentale, et pourquoi ?
Bruno : Je n’ai aucun livre auquel je lui accorde de valeur sentimentale. Je tiens à toute ma bibliothèque comptant 25 000 livres.
Michel : Un vieux dictionnaire, Quillet Flammarion. De mémoire, il a toujours été dans ma vie. Probablement le seul souvenir de ma grand-mère qui m’a élevé.
| Vous prêteriez lequel de vos livres à quelqu'un que vous voudriez séduire ?
Bruno : Règle numéro un, quand on veut séduire quelqu’un on ne prête pas de livre, on les donne. À toutes les amoureuses que j’ai eues, je leur ai toujours offert des livres. Si j’avais à séduire une femme aujourd’hui, je lui offrirais « Septentrion » de Louis Calaferte, « Les mémoires » de Simone de Beauvoir et les livres d’Hélène Cixous.
Michel : The Leatherman’s Handbook de Larry Townsend. Ne sais pas s’il y a une version française. En gros c’est un descriptif détaillé, peut-être un peu passé date, des pratiques et coutumes cuir et S&M gais. Disons que ça serait une séduction directe, à prendre ou à laisser, pas de détours :-)
| Que trouve-t-on comme livres “honteux” dans vos rayonnages ?
Bruno : J’aimerais bien avoir des livres honteux. Pour moi un livre honteux ça n’existe pas et chaque livre finit par trouver son lecteur et si ce livre-là lui procure du plaisir, il n’y a aucune honte à y avoir.
Michel : La Bible. Je ne la lis pas. Je sais que je l’ai, quelque part, dans un carton. Un souvenir de famille. C’est un livre honteux car c’est pour moi une des semences de la discorde.
| Quels livres avez-vous hérité de vos proches ?
Bruno : Jusqu’à tout récemment, je n’avais hérité de personne quoi que ce soit. Puis une jeune cliente de ma librairie m’a couché sur son testament. D’elle, j’ai hérité de sa petite bibliothèque, d’une vidéothèque et de quelques tableaux. Parmi les livres on y trouvait les œuvres complètes de Charles Bukowski et des recueils de haïkus japonais. Une autre femme aimée mais celle-ci toujours vivante m’a offert une partie de la bibliothèque qu’elle a elle-même reçue en héritage, celle du poète et ministre québécois, Gérald Godin. Livres autographiés et annotés auxquels je tiens beaucoup.
Michel : Quelques livres d’Alan Watts traduits en français, maître à penser de mon feu amant, et beaucoup d’autres mais ils sont sans importance autre que de servir de matériaux à des collages artistiques
| Le livre que vous avez le plus lu et relu ?
Bruno : Les six tomes des Mémoires de Simone de Beauvoir que j’ai lus environ huit fois
Michel : « L’Ile aux trente cercueils » de Maurice Leblanc. Je sais, c’est pas top. Mystère sur une île dont, à un moment donné, on craint la mort… imagerie délicieuse.
| Le livre qui suscite en vous des envies d'autodafé ?
Bruno : En lisant la note de Michel sur « Mémoires d’Hadrien », j’ai bien haï ce livre moi aussi.
Michel : En effet, « Mémoires d’Hadrien », une lecture obligatoire, un ensemble de très mauvais souvenirs d’école, ou comment une enseignante de français a tenté de me faire réaliser que j’étais gai à une époque où je ne réalisais rien de ma vie et, surtout, qu’elle s’arrange pour que toute l’école (et on se souvient que les années pré-80 étaient assez atrocement homophobes) sache ce qu’elle pensait de ce que j’étais. Un désastre. Yourcenar n’y est pour rien mais ça resté un livre « de trop ».
| On vous propose de vivre éternellement dans un roman de ton choix, vous optez pour lequel ?
Bruno : « La Chartreuse de Parme » de Stendhal.
Michel : Je n’ai pas suffisamment lu pour identifier un roman dans lequel je me sentirais bien vivre éternellement. Il doit bien y en exister un. Je propose la mise en scène suivante : vie de truand, vols, meurtres, du sang, du sexe, prison, sexe (là aussi), évasion, une fin tragique genre fusillade devant des passants horrifiés (surtout horrifiés car c’est comique de voir des gens horrifiés pour des choses qui ne les concernent et ne les touchent pas du tout)… on recommence vols, meurtres, sang, sexe…
| Quel est l’incunable que vous rêvez de posséder, votre Saint Graal bibliophilique ?
Bruno : Hankéou d’Alain Grandbois, un recueil de poésie dont la totalité de l’édition aurait disparu, selon la légende, dans un naufrage en mer Rouge. Ce recueil imprimé en Chine sur papier de riz et relié selon la méthode traditionnelle chinoise raconte les rêveries opiacées du poète. Une vidéo de moi à cet effet ici.
Michel : Aucun. Mais si un livre était si extraordinaire et précieux, mieux vaut qu’il soit entre les mais de quelqu’un qui saura vraiment le chérir.
| Au bout d'une vie de lecture, et s'il n'en restait qu'un ?
Bruno : Le premier livre que j’ai lu dans ma vie, à l’âge de sept ans, « Le vieil homme et la mer » d’Ernest Hemingway. Lu dans des circonstances tragiques lors de la célèbre émeute de la Saint-Jean-Baptiste, le 24 juin 1968, où j’ai failli trouver la mort… c’est vrai, n’eut été… je pense que ça été l’émeute la plus violente de l’histoire du Canada : des dizaines de blessés, des voitures de police renversées et incendiées. Je revois les chevaux, la police montée, en train de frapper à coup de gourdins les manifestants et un moment donné j’ai failli recevoir une grosse bouteille de bière derrière la tête. Un adulte m’a alors plaqué au sol pour éviter le coup. Comme on ne pouvait plus retourner à notre domicile, je me suis retrouvé chez des voisins, rue Cherrier, à proximité du parc Lafontaine où l’émeute eut lieu. J’y ai dormi, dans une petite chambre. Et dans cette chambre il y avait un exemplaire de poche du livre susmentionné. Je l’ai lu au complet cette nuit-là. On m’a envoyé dans la chambre à la suite de cet autre incident : on a frappé à la porte et un manifestant s’y trouvait, ensanglanté, demandant l’accueil parce que la police l’avait sauvagement battu. Les gens chez qui on était réfugiés lui ont refermé la porte au nez, lui refusant asile. J’ai posé quelques questions… de trop probablement et on m’a sommé d’aller me coucher. Après tant d’émotions, incapable de trouver le sommeil, c’est ainsi que je me suis retrouvé à lire ce livre. Ce livre, d’ailleurs, « Le vieil homme et la mer », représente toute mon aventure de lecteur, et je dirais même toute mon aventure d’être humain parce qu’au fond je n’ai jamais cessé de me battre contre le grand poisson, une sorte de représentation symbolique à la fois de l’utopie et à la fois de l’impossible dépassement de soi. Je conserve un souvenir physique de cette lecture. J’ai une édition de ce livre que j’ai rachetée des années plus tard mais je ne l’ai jamais relu depuis 1968, je m’en souviens pourtant parfaitement.
Michel : Question trop difficile. Mais puisqu’il en faut un… « No Présent » de Lionel Tran. Le livre qui m’a confirmé que je pouvais écrire. Combien de livres ont ce pouvoir ?








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