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NOUS N’AVONS JAMAIS QUITTÉ LES CHIENNES | OSSANG & MOI

Dernière mise à jour : 15 juil.

Fabien Thévenot


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Je crois que je viens de réaliser un rêve.

Un vieux rêve qui bouge depuis plus de 25 ans.

Mettre à mon mur l’affiche du Trésor des Iles Chiennes.

 

Longtemps, Le Trésor des Iles Chiennes n’a été pour moi qu’un film fantasmé. Fantasmé à partir de sa bande-son.

Et d’une poignée d’images.

 

Rewind.

Nous sommes dans les années 90, le monde entre dans la Guerre du Golfe et moi dans ma seizième année. J’habite dans une ville de province de l’est de la France où les agités de mon âge tuent l’ennui en jouant de la musique et/ou en animant de foutraques émissions de radio. Rapidement, je me fais connaitre auprès de Bondage records et de quelques autres labels qui, tous les deux/trois mois, me font parvenir un carton plein de nouveautés. Des vinyles, des CD, des K7, des goodies. Un truc probablement dur à imaginer pour ceux qui ont commencé à écrire dans des fanzines, la presse ou à animer des émissions de radio au début des années 2000, au moment où majors et labels, indépendants ou non, ont cessé d’arroser de leurs dernières sorties la moindre personne susceptible d'en faire écho.

 

On était alors que des gamins.

Mais grâce à cette émission, notre discothèque était déjà énorme.

 

Un jour, dans un de ces colis, Bondage me glisse un disque qui pique ma curiosité. La bande originale d’un film nommé Le Trésor des Iles Chiennes. Le long-métrage d’un certain F.J. Ossang. Moi qui n’écoute depuis quelques mois plus que du punk, de préférence basique et avec des textes stupides, le disque m’intrigue et me rebute. L’ambiance y est post-atomique, tribale, industrielle, froide. Je comprendrai plus tard d’où vient ce son, l’origine de cette musique. Irai à la rencontre du post-punk, de la musique industrielle, de ce son ô combien plus intéressant que ce qui m’occupe pour le moment.

 

Mais pour l’heure, l’ado barbare que je suis découvre. Subit un choc esthétique. Complet. Les sonorités inouïes, les extraits de dialogues du film [ll faut se précipiter dans le vide / je fabrique le vide / Je suis un réacteur ! / Je me propulse dans l’espace-temps en créant un vide qui m’aspire en avant / Toujours en avant !], ce morceau extraordinaire [Soleil trahi / je ne sais que dire / un plissement d’aile me chiffonne l’intérieur] qui fait office de thème au long-métrage. Je n'ai aucune idée de ce à quoi ressemble ce film et je n’ai guère à ma disposition qu’une poignée d’images pour le reconstituer : celles qu’on trouve sur la pochette du CD — imprimé qui plus est en très petit.

Paie ton mindfuck.

 

Les rares autres images de la pelloche qui alimentent ma convoitise sont tirées d’une critique du numéro 71 de Mad Movies. On y voit Serge Avédikian rire hystériquement, ainsi que le visage de Mapi Galán surnager dans une sorte d’eau laiteuse. La critique, elle aussi, donne furieusement envie de voir Le Trésor. Sans être dithyrambique — et bien qu’elle botte un peu en touche —, elle pointe ses nombreuses qualités et agit sur mon cerveau comme un catalyseur.

 

Poésie, aventure, bruit blanc.

Voilà les ingrédients de ce film mystère qu’il me faut désormais voir à tout prix.

Seul problème : j’habite dans le trou du cul du monde. Pas de Trésor des Iles Chiennes pour moi. Je guette pourtant chaque semaine les productions à l’affiche dans les deux cinémas de la ville, mais c’est en vain.

 

Il me faudra attendre 9 ans pour voir Le Trésor en VHS.

Et 23 ans pour le voir enfin dans son format de projection d’origine, le 35mm.

 

Les internet natives imaginent mal ce que c’était de vivre dans le monde d’avant le réseau. J’en parle sans nostalgie — c’était juste un autre rapport aux choses et au temps. Il fallait parfois des années avant de se faire une idée de la discographie complète d’un groupe, ou voir les films d’auteurs ou des séries B chroniqués dans la presse ou dans d’obscurs fanzines. Un blockbuster mettait parfois plus de deux ans avant de sortir en VHS. Alors un film d’art et essai…

 

Dix ans plus tard, nous est subitement offerte la possibilité de partager tout un tas de films, et d’être mis en relation avec ceux qui souhaitent se séparer de certains trophées. A partir de ce moment, ma collectionnite Ossangienne n’a plus de limites. Livres épuisés, disques, photos d’exploitation.

Mais l’affiche du Trésor restera une sorte de Graal personnel, jamais loin d’être inatteignable — soit difficile à trouver, soit toujours trop onéreux.

 

Ainsi, peu d’œuvres m’auront accompagné d’aussi près que celle de F.J. Ossang. Son travail est l’un des rares fils rouges qui relient mon enfance à ma vie avancée d’adulte, et dont je sais qu’il est pour beaucoup dans mon initiation aux choses de l’art, dans ma sensibilité présente. Dès lors, que pouvais-je faire d’autre que devenir un jour ou l’autre l’un de ses éditeurs ? Moins pour le remercier que pour tenter de symboliser matériellement l'espace qu’il a toujours occupé artistiquement — pour ne pas dire spirituellement — dans mon existence.


Un grand merci à Benjamin P. & Nico | Et par ricochet à Marsu et Catherine Lemaire.

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