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BOOKHOUSE BOY #54 / Valéry Molet, écrivain

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Avec ses yeux de cidre et de cassis

 

    Son regard a une mine de limace après la pluie

 

    Et ma femme discerne l’amour enfin crû

 

    Tandis que nos deux vies dessinent une voûte en arc de cloître

 

    Et que les berceaux nous enferment et nous libèrent tout à la fois.

 

    Il n’y a plus que nous, parfois,

 

    Qui formons une natte imparfaite

 

    De cheveux gris et d’amour

 

    Que le crépuscule maltraite” *

 

Sous la paresse feinte, un mineur de ciel.

 

Valéry Molet est une figure compliquée de la littérature contemporaine. Si vous n’êtes pas d’accord, retournez lire sa poésie - Le Crématorium inutile, Animaux vivants à l’intérieur, Aucune ancre au fond de l’abîme. Comment un seul et même personnage, ici Molet, peut-il à ce point, et ce à n’importe quelle page ouverte, nous combler et de douceur, et de douleur ? Comme le ressac qui redouble la beauté au moment où il l’oblitère, comme la seringue qui, à peine entrée dans la fesse, se retire vidée du sérum, Valéry Molet pénètre des zones de lumière pour en révéler le gris - c’est là sa manière de faire exploser les couleurs - et chante des opéras à une seule note, mais bon sang qu’est-ce qu’elle résonne, précise et longtemps, de ces poèmes que l’on veut apprendre par cœur pour les chuchoter à voix de contrebasse, debout seul sur le littoral ou recroquevillé dans un début de coma.

 

Maximilien Friche, éditeur de Molet (un recueil de poésie, un roman), dit de lui que c’est peut-être un “optimiste cynique”, selon lequel “on pourrait y arriver, mais c’est mal barré”. Si mal, que le suicidaire toujours ratera son nœud de pendu, l’océan toujours avortera sa vague et Polyphème certainement percera son unique œil d’un geste rageur et agacé. Ce même œil mi-gourmand, mi-déprimé de Valéry, où brille un abandon et, parfois, un sarcasme. Éditeur lui-même chez Sans escale, la maison à l’avion écarlate, Valéry Molet le maniaque des citations au rire désolé se prête quelques instants au jeu des Bookhouse Boys, agrandissant la liste des courses. Derrière les cravates et les bureaux de l’établissement public territorial de bassin, quelque chose ébroue sa torpeur avant de se redestiner à un embryon de grâce empêchée.

 

| Que trouve-t-on comme nouvelles acquisitions dans ta bibliothèque ?

Les romans de Stasiuk, Le Jeune Européen de Drieu la Rochelle, Tu dois changer ta vie de Sloterdijk.

 

| Quels livres marquants as-tu découverts à l'adolescence et que tu possèdes toujours ?

Le Voyage de Céline, Gilles de Drieu, La Défense de l’infini d’Aragon, les Récits de la Kolyma de Chalamov, Mrs Dalloway de V. Woolf.

 

| Sans égard pour sa qualité, lequel de tes livres possède la plus grande valeur sentimentale, et pourquoi ?

Le Napoléon de Tarlé, premier livre que j’ai lu en Grèce à l’âge de 10-11 ans.

 

| Lequel de tes livres prêterais-tu à quelqu'un qui te plaît ? 

Eugène Onéguine de Pouchkine.

 

| Que trouve-t-on comme livres honteux dans tes rayonnages ?

Les Aventures de Jean-Foutre La Bite d’Aragon, Le Cas Wagner de Nietzsche.

 

| Quels livres as-tu hérité de tes proches ? 

L’Encyclopédie des animaux, Anthologie de la poésie française de Pompidou et Les Trois mousquetaires de Dumas.

 

| Le livre que tu as le plus lu et relu ? 

L’Anatomie de la mélancolie de R. Burton.

 

| Le livre qui suscite en toi des envies symboliques d'autodafé ?

Désert de Le Clézio.

 

| On te propose de vivre éternellement dans un roman de ton choix, oui, mais lequel ?

Quelle horreur ! Aucun !

 

| Quel est l'incunable que tu rêves de posséder, ton Saint Graal bibliophilique ?

Le Banquet de Platon.

 

| Au bout d'une vie de lecture, et s'il n'en restait qu'un ?

La Confession d’un voyou de Essénine.

 

Tous les livres des éditions Sans escale sont frappés de cet avion rouge comme le sang qui s’échappe de la bouche du requin de Lautréamont.

 

    Ma femme a les yeux vairons.

 

    L’œil droit fuit et luit comme un scarabée écrasé par un pneu,

 

    L’œil gauche est un ru clair

 

    S’épandant sur la chaussée

 

    Dans un sous-bois breton :

 

    Ardoise verdie après une saison de pluie.

 

    (…)

 

    L’amour est un fruit rare

 

    Comme un nom inconnu de route

 

    Qui menace le système mondial de positionnement.” **

 

 

* “Dans l’horreur de l’été”, in Le Crématorium inutile, éditions Ex Æquo, 2017.

 

** “Le souvenir des yeux de Valérie dans l’anse de Gouermel”, in Animaux vivants à l’intérieur, éditions Nouvelle Marge, 2018.

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